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Actualités

28/06/2017
Blockchain dans les services financiers: effet de mode ou de révolution? Par Nicolas Roth
Les banques doivent faire preuve d’audace et considérer cette technologie comme une formidable occasion de transformer leur entreprise.

 

 

 

Dans le monde de l’investissement de 2017, les termes au goût du jour qui reviennent en permanence sont, entre autres, «machine learning» (apprentissage automatique), «robo-advisory» (conseil automatisé) et intelligence artificielle. Bien que certaines utilisations de cette technologie soient prometteuses, la technologie elle-même n’est qu’une version mineure de ce qui existe déjà. L’intelligence artificielle n’est pas nouvelle, dans la mesure où la théorie sous-jacente servait déjà à résoudre des équations symboliques, tandis que la notion d’apprentissage automatique remonte aux réseaux de neurones artificiels ou aux arbres de décision qui permettent de générer des décisions d’investissement depuis plus d’une décennie. La véritable révolution viendra de l’utilisation de la technologie blockchain dans le secteur des services financiers. Le terme blockchain est souvent associé au bitcoin - la première crypto-monnaie - et à son comportement spéculatif bien connu. Mais loin de se limiter au simple bitcoin, la blockchain s’annonce révolutionnaire, en particulier pour les services financiers.

Un registre partagé

La blockchain est une technologie dans laquelle le registre est distribué ou partagé plutôt que centralisé. Contrairement aux systèmes ayant recours à un intermédiaire, chaque participant à la blockchain a accès à l’intégralité de la base de données et à son historique et aucune partie ne contrôle les données. Les transactions sont effectuées entre les utilisateurs sans nécessiter l’intervention d’un tiers et chaque transaction est stockée et transmise à tous les blocs du système. La base de données - ou la chaîne - est irréversible par nature: une fois enregistrée, la transaction est visible pour tous les utilisateurs, mais ne peut pas être modifiée. La blockchain s’appuie sur ce que l’on appelle des «mineurs», un réseau d’ordinateurs qui s’empressent de valider les transactions et de créer de nouveaux blocs qui seront rémunérés dans la crypto-monnaie de la blockchain spécifique à laquelle ils appartiennent. Au final, l’enjeu de la blockchain, c’est la désintermédiation. Que ce soit dans le secteur des services financiers ou dans d’autres segments d’activité, les transactions et les contrats sont pour la plupart réalisés à l’aide d’un tiers, tandis que la technologie blockchain supprime la nécessité de recourir à un intermédiaire, dans la mesure où les transactions sont validées, enregistrées et horodatées au sein du système lui-même.

Un canal unique

Dans une transaction financière classique, l’acheteur et le vendeur conviennent d’un prix spécifique à un moment précis pour un actif donné. Toutefois, ils font tous deux appel à leur banque, courtier, dépositaire et chambre de compensation. Toutes ces entités communiquent, la plupart du temps de manière archaïque, parfois par fax, ce qui prolonge la durée de règlement des transactions et rend le processus peu efficace. La technologie blockchain a non seulement le potentiel de supprimer en partie ces goulets d’étranglement, mais elle permet également à toutes les parties de communiquer par le biais de la même base de données qui contient l’ensemble des informations.

La première blockchain est apparue avec le bitcoin, dont le seul but était la création d’une monnaie virtuelle échappant au contrôle de toute banque centrale. La mauvaise publicité dont le bitcoin a fait l’objet est principalement liée à son utilisation sur le site Silk Road, célèbre marché noir en ligne où l’on pouvait acheter des armes, de la drogue ou encore des services de piratage payés en bitcoins. Toutefois, la crypto-monnaie commence à être reconnue sur le plan international, comme en témoigne le fait qu’un certain nombre de boutiques japonaises l’acceptent depuis peu comme moyen de paiement, de même que Peach, une compagnie aérienne japonaise low-cost.

Mais le bitcoin n’est pas la seule blockchain. Cette monnaie numérique intègre un certain nombre de limites liées à son architecture. Elle est délibérément limitée à un certain nombre d’unités, la validation d’une transaction au sein du réseau peut prendre jusqu’à dix minutes et la taille des blocs est limitée. Ces limites liées à sa conception ont ouvert les portes à la concurrence. Blythe Masters, ancienne Responsable Mondiale Matières Premières chez JP Morgan, célèbre pour avoir été la première opératrice de marché à structurer un credit default swap (CDS), est aujourd’hui aux commandes de Digital Assets Holdings, une société présente dans le secteur de la technologie des registres distribués qui compte d’importants clients comme la Bourse australienne. Cette société compte achever d’ici fin 2017 un projet visant à améliorer les processus de règlement de cette place boursière au moyen de la technologie blockchain.

Ethereum vs bitcoin

Le système qui fait aujourd’hui la une de l’actualité financière mondiale est Ethereum. Ethereum repose sur des bases analogues à celles du bitcoin, mais présente d’importantes différences. Sans trop entrer dans les détails techniques, la vitesse de validation des nouveaux blocs est de 12 secondes, contre 10 minutes pour le bitcoin, tandis que son code interne est un langage dit «Turing-complete», ce qui signifie que tout peut être programmé. À titre de comparaison, le bitcoin n’est pas compatible avec l’instruction «if» qui est le fondement de tout système Turing. Enfin, les bitcoins sont binaires, ils sont soit dépensés soit achetés. Aucun autre état ne peut être envisagé, ce qui rend le bitcoin extrêmement limité par sa conception. Ethereum remédie à cette limite en mettant en œuvre des contrats dits «intelligents» (les smart contracts), qui sont essentiellement multi-états.

Il n’est donc guère surprenant qu’Ethereum ait suscité un vif intérêt parmi les sociétés financières et industrielles, qu’il s’agisse de JP Morgan, de Cisco, d’Accenture ou encore du prêteur espagnol Santander. Pour l’heure, de nombreuses banques rejoignent un groupe baptisé Enterprise Ethereum Alliance dont le but est d’utiliser la technologie Ethereum pour développer des blockchains privées adaptées à leurs activités spécifiques. Bank of America est sur le point de lancer sa blockchain privée en vue de simplifier le processus relatif aux lettres de crédit en transformant ces documents juridiques en contrats intelligents entre toutes les parties concernées. De son côté, JP Morgan est chargée d’élaborer des protocoles de protection de la vie privée au sein du réseau par le biais de sa plateforme Quorum qui utilise la structure et la philosophie d’Ethereum. Enfin, Goldman Sachs a déposé un brevet concernant une technologie blockchain visant à compenser les opérations de change de gré à gré. L’enthousiasme que suscite la blockchain dépasse largement l’univers des services financiers. Certains concepts comme Airbnb pourraient être rapidement remplacés par un système similaire utilisant des contrats intelligents et supprimant donc l’intermédiaire (ici Airbnb) en mettant directement en contact l’offre et la demande dans un cadre sécurisé. Même l’Organisation des Nations unies (ONU) envisage d’utiliser cette technologie pour simplifier et rendre plus sûre la distribution de ses fonds.

Les banques subissent de fortes pressions réglementaires qui, au final, se traduisent par une hausse des coûts. L’intégration de la technologie blockchain au sein de certains segments d’activité spécifiques des banques devrait entraîner des gains d’efficacité au sein du secteur, tout en réduisant la base de coûts. Les banques doivent faire preuve d’audace et considérer la technologie blockchain comme une formidable occasion de transformer leur entreprise. Les géants de Wall Street y consacrent déjà du temps et des dollars, mais les banques de moindre envergure et plus agiles doivent saisir l’occasion de transformer leurs processus et de passer au système bancaire 2.0.

Par Nicolas Roth, Responsable des investissements alternatifs auprès de la Banque Reyl